L A U R A L I T T A R D I
"INNER DANCE", UN CHANT EN ÉCHO
DES CHANTS QUI VIVENT EN NOUS
Avec « Inner Dance », Laura Littardi a trouvé beaucoup plus qu’une accroche ou un concept, aussi séduisants soient-ils : un espace personnel indissociable de ses racines musicales et de son parcours propre et qui lui permettent aujourd’hui, avec la générosité et la virtuosité qui sont les siennes, de se réapproprier des références qui nous sont familières à la faveur d’un art vocal très sensuel au summum de la sérénité.
A l’heure où bien des chanteuses se contentent d’élargir timidement un répertoire bien balisé et où le jazz tente de tutoyer, avec des succès très mitigés, le répertoire pop, Laura Littardi séduit immanquablement par ses options : sans jamais sacrifier aux valeurs du jazz (l’improvisation, le swing etla qualité de la pulsation, etc.), elle offre au public l’audace de revisiter des "tubes" (pas d’autre expression et il n’y a pas à en rougir) de Tina Turner, de Neil Young ou du légendaire chanteur Stevie Wonder, parce que ce sont des "grooves" qui vivent en elle depuis longtemps.
Abolition convaincante des barrières, réaffirmation d’une identité, séduction d’une voix et d’une histoire qui nous parlent enfin de l’intensité avec laquelle nous avons, nous aussi, écouté et aimé, loin des étiquettes, toutes ces légendes. Si Laura Littardi les chante si bien, c’est parce qu’on perçoit à la première écoute, qu’en les réinterprétant elle se ressource et s’invente elle-même.
Laura magnifie l'art du dire propre à la sensibilité pop-soul où les mots, les notes, coulent lentement tels les pleurs sur la joue dans la ferveur, la tristesse ou la tendresse éprise qu'ils convoquent. Avec un incroyable à-propos, elle use de ces harmonies folk volontiers ouvertes, refusant toute sophistication qui habillerait à l'excès l'émotion. Tout cela ressourcé aux vertus les plus intemporelles du jazz : le sens de l'espace, de la dérive funambulesquement contrôlée (« Proud Mary » !), des envolées improvisatrices – ces scats éblouissants de mobilité rythmique et d'une précision incisive.
Outre une cohésion orchestrale impressionnante, le résultat de cette osmose c'est que Laura et ses complices depuis deux ans ne jouent sur aucun des deux registres : jazz ou pop-soul. Surtout pas ! Libérés de toutes les étiquettes, respectueux des arrangements signés par la chanteuse, ils inventent avec elle un espace singulier, palpitant (écoutez les introductions minimalistes mais si poignantes des deux versions de « Sunny Days » qui encadrent l'album), des couleurs absolument neuves (« Isn't She Lovely » est transfiguré, posé comme une ballade méditative et quasi-onirique sur une pulsation discrètement suave avant d'être sublimé en un scat définitif), une sensualité rythmique (voyez comme le groove s'installe et s'intensifie sur « Hold The Line » et « Higher Ground ») totalement convaincants. Et l'on s'étonne, en s'attardant sur le répertoire, qu'il comporte trois thèmes (« Sunny Days », « I'm Praying » et « Beautiful Flower ») signés de la chanteuse elle-même et qui se fondent sans déparer parmi les chefs d'oeuvre de ses prédécesseurs...!
« Inner Dance » frappe fort : parce qu'il est un acte musical de foi, de délivrance, d'enchantement puisé à nos intimités enchevêtrées. Un manifeste poétique.
Stéphane Carini
Stéphane Carini est l’auteur de « Les Singularités Flottantes de Wayne Shorter » (Ed. Rouge Profond, coll. Birdland). Il a aussi publié des « textes libres » (sic) consacrés à BudPowell, Ray Brown, Johnny Griffin, Oscar Peterson, Anita O'Day, Wayne Shorter (dansJazzman, Les Cahiers du Jazz et sur le site des DNJ) remarqués par Lalo Schifrin, ChristianEscoudé ou Michel Gaudry.
"Inner Dance" :
Laura Littardi (chant, arrangements, compositions, direction artistique)
Carine Bonnefoy (piano)
Mauro Gargano (contrebasse)
Francesco Bearzatti (saxophones)
Fabrice Moreau / Guillaume Dommartin (batterie)